
La signature de Lewis Hamilton chez Ferrari a rappelé qu'aucune autre écurie de sport automobile n'était en mesure de susciter autant de passion chez les suiveurs, mais aussi auprès du grand public. Un prestige qui s'est construit sur plus d'un demi-siècle, à la faveur des succès de ses champions et des voitures.
"Ferrari est le plus grand nom du monde. Si vous alliez voir un guerrier Masai au milieu de l’Afrique et que vous lui demandiez 'Connaissez-vous Ferrari?', il connaîtrait le nom Ferrari". Jackie Stewart, le doyen des champions du monde de Formule 1, ne s’y trompe pas. Le transfert du siècle avec Lewis Hamilton a encore démontré la réputation planétaire de la Scuderia. Les photos de la première journée en rouge du septuple champion du monde britannique ont fait "plus d'un milliard de vues", selon le patron Frédéric Vasseur. "Ce sont des choses qui dépassent complètement l'entendement et le cadre du sport", a-t-il dit au micro de RMC.
Ferrari n’a rien gagné depuis des années, alors que Red Bull et Mercedes ont su être hégémoniques. Même McLaren est sortie de sa disette la saison passée. Peu importe. En matière de sport automobile, et pas seulement dans la discipline reine, rien n’est plus prestigieux que le cheval cabré. C'était en substance l'avis de son ex-vedette Sebastian Vettel: "Tout le monde supporte Ferrari, même en supportant une autre équipe".
"La Formule 1, c’est Ferrari"
Aucune autre écurie ne peut revendiquer d’être présente dans le championnat du monde de F1 depuis sa création en 1950. Sans discontinuer. "La Formule 1, c’est Ferrari. Et Ferrari, c’est la Formule 1", assénait l'ancien grand argentier Bernie Ecclestone. À tel point que la formation italienne touche un bonus financier exclusif au titre de son statut historique (5% de l’enveloppe totale allouée aux autres équipes).
Pour que Ferrari gagne ses lettres de noblesse, il a fallu des résultats. En 75 ans de F1, l’armoire à trophées est impressionnante: 253 poles, 247 victoires, 31 titres avec le premier en 1952 (16 pour les pilotes et 15 comme constructeur). Le palmarès affiche aussi 11 titres aux 24 Heures du Mans, comme une démonstration que les Ferrari peuvent être les plus rapides partout, y compris en endurance.
"La Ferrari est un rêve. Les gens rêvent de posséder cette voiture spéciale", s’enorgueillait Enzo Ferrari, fondateur de l’empire et lui-même ancien pilote. À la question de savoir comment gagner les courses et les cœurs, sa réponse était pour le moins provocatrice: "L'aérodynamisme, c'est pour les gens qui ne savent pas faire de moteur". Une réflexion impossible à soutenir aujourd’hui tant le sport auto est devenu de la haute technologie. Mais cette vision de l’époque part d’un postulat: dessiner une belle carrosserie ne relève pas de l’impossible, surtout en Italie, où cohabitent Alfa Romeo, Lamborghini et Maserati. Revendiquer le must en matière de performance, c’est une toute autre affaire.


Maranello, la fabrique de la passion
Le mythe Ferrari passe par son QG. La plupart des écuries de F1 sont installées au Royaume-Uni pour des raisons logistiques, de compétitivité, ou tout simplement parce qu’elles sont britanniques. Milton Keynes est connue pour abriter Red Bull. Brackley pour Mercedes. Mais c’est sans commune mesure avec l’usine de Maranello. "En Angleterre, la ferveur est diluée sur six ou sept équipes. Ce qui est différent chez Ferrari, c’est que dès le matin à Maranello, il y a des gens qui font le pied de grue pour faire des photos", observait Frédéric Vasseur auprès du Monde.
"Maranello, c'est tellement grand", témoigne Lilou Wadoux dans un entretien accordé à RMC Sport. À seulement 21 ans, l'Amiénoise est devenue pilote officielle de Ferrari en endurance. Elle se souvient de ses premiers pas dans cette "petite ville" au cœur de l’Émilie-Romagne. Le site, où fourmillent plus de 3000 travailleurs, s’étend sur plus de 550.000 mètres carrés. "Quand on est au milieu, on est un peu perdu! On est comme dans Où est Charlie? Il y a tellement de choses et de bâtiments, c'est un peu particulier de se dire que tu rentres avec ton badge, que tu dois biper à chaque porte... Tu te rends compte que tu n'es pas n'importe où, mais que tu travailles dans l'un des plus beaux endroits au monde", confie celle qui court à la fois en IMSA, SuperGT au Japon et qui fera Le Mans en juin.
Maranello représente aussi la passion qui anime Ferrari. "Dans chaque écurie, les employés sont engagés, motivés et veulent gagner. Ce qui est spécial au sujet de Ferrari, c’est qu’en plus de cet engagement professionnel, il y a une couche de passion qui vient en partie du caractère italien", témoignait le bien connu ingénieur anglais James Alisson, qui a fréquenté bon nombre de manufactures. "Les gens consacrent toute leur vie à la F1, à l'amélioration de la voiture. La passion qui règne à l'intérieur est quelque chose d'incroyable", abondait le sextuple champion du monde italien de moto Valentino Rossi, qui a eu droit à des séances d'essais en monoplace au milieu des années 2000.

Un "rêve" pour les pilotes
Et puis Ferrari est aussi une affaire de champions. Alberto Ascari (titré en 1952 et 1953) et Juan Manuel Fangio (1956) sont les pionniers. Reste que la légende a surtout été écrite par Niki Lauda (1975, 1977), Alain Prost (2e en 1990) et surtout Michael Schumacher (2000, 2001, 2002, 2003, 2004). Avec le chef d'orchestre Jean Todt et l'iconique moteur V10 au bruit si identifié, l'Allemand est l'homme de la période la plus faste. Quand il signe en 1996, c'est pourtant un pas en arrière sur le plan technique pour lui qui avait été deux fois sacré chez Benetton. Mais l'attrait ferrarista surpasse tout. Ayrton Senna aurait pu le prouver lui aussi. "Il voulait venir. Nous avions discuté pendant un long moment et il était clair pour moi qu’il voulait finir sa carrière chez Ferrari", avait révélé le président Luca di Montezemolo. La discussion avait eu lieu quatre jours avant l’accident mortel à Imola.
Pour le talentueux pilote polonais Robert Kubica, Ferrari était l’objectif d’une vie. "En tant que pilote de F1, j’avais deux objectifs: gagner le championnat du monde et passer chez les Rouges. Cela ne s’est pas produit parce que la vie m’a servi un autre scénario. Et j’avoue que cela reste une plaie ouverte". L’Australien Alan Jones aurait pu accomplir ce rêve. Il l’a repoussé par ego après avoir été éconduit une première fois, comme raconté à FormulaPassion: "Imaginez si j'avais pu m'asseoir dans cette voiture: je n'aurais plus jamais eu à payer un repas en Italie de toute ma vie! (...) En 1982, ils m'ont voulu, mais je n'ai pas répondu, alors ils ont pris Mario Andretti. C'est étrange comme la vie fonctionne. Je regrette toujours de ne pas avoir accepté l'offre de Ferrari. Ce refus est la chose la plus stupide que j'aie jamais faite dans ma carrière".
Et pour ceux qui ont dit oui? "On vit un rêve", sourit Lilou Wadoux. "Au fil du temps, on se rend compte que c'est une grande famille et qu'il n'y a rien de mieux que de gagner avec une Ferrari. Quand une Ferrari gagne, c'est encore plus magique qu'avec une autre voiture".